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D’un arbre, une fébrile silhouette répète à l’envi : « Si vous voulez rester vivants, sachez-vous émerveiller ! » .

À l’écoute, ne serait-ce pas le timbre de l’alerte voix du Roitelet, cet Acteur recruté par Jean de la Fontaine, dans la distribution des rôles de la célèbre Fable du Chêne et du Roseau ? ».

Nommé au sens noble « petit Roi aux cheveux de feu », le Roitelet à triple bandeaux cache de singuliers appâts sous l’apparente banalité d’une vie laborieuse.

Suivant les prescriptions du grand Ordonnateur, l’experte Nature munie des matériaux d’aquarelliste et de maquilleuse, consacra jadis le jeune dauphin, le parant déjà de subtiles nuances vertes, jaunes et grises, rehaussées de poudre de soleil, de fard et de mascara.

Satisfaites de ces primordiales attributions, la magicienne compléta l’habit d’un cou mordoré et d’une incandescente couronne incrustée d’or et de safran.

Cette insolite auréole royale, ondoyante au moindre dérangement, sera l’irréfutable preuve d’un caractère de célébrité.

Le long sourcil blanc souligné d’un bandeau noir au travers des yeux, le différencie de son jumeau le roitelet huppé, dépourvu de cet agrément constitutif.

Devant ce trait d’espèce, Thémis, Déesse grecque de la Justice, arbore à son égal, un visage recouvert d’une étoffe symbolisant l’impartialité, une qualité essentielle à l’exercice de son pouvoir.

Exempt de vague à l’âme, le candide Roitelet virevolte nerveusement sous la ramure, insouciant du titre européen de poids plume avec ses 5 grammes correspondants à la légèreté d’une pièce d’1 euro.

Migrateur partiel de notre région, le baladin est souvent confondu au troglodyte qui, d’aventure, explore hardiment les forêts mixtes.

En constant sursis énergétique, le Roitelet s’échine à consommer l’équivalent journalier de son poids, chassant inlassablement de son bec fin et pointu, insectes et araignées sur les rameaux et dans la végétation basse. Sa témérité l’exposant, l’être y laisse quelquefois sa vie au sein du piège d’une toile visqueuse d’épeire diadème.

Au printemps, la formation des couples dégénère, tantôt, en redoutables et sanglants combats d’arène, rostres pointés vers le rival.

A l’initiative d’une oiselle à taille de sylphide, un palais émérite est ardemment édifié, sous la surveillance du fringant prétendant veillant à l’architecture et aux matériaux récupérés aux alentours par d’interminables va-et-vient conjugaux.

Mousse et lichen entremêlés à de la soie naturelle consolident l’extérieur de l’abri princier, l’intérieur étant tapissé de la douceur d’un duvet végétal et animal qui recueillera onze menus œufs d’1 g., choyés et couvés consciencieusement vingt jours.

Le procédé de construction, déterminé par le patrimoine génétique de l’espèce, est sans égal, au prix de la valorisation d’une œuvre d’art cratériforme, solidement ancrée aux branches et farouchement sauvegardée.

En effet, par un comportement ornithologique inusité, les sagaces et prévoyant occupants déplaceront au moindre danger, l’entrée de leur gîte.

Mais ne nous y trompons pas, 20 millions d’oiseaux meurent annuellement, irrémédiablement sacrifiés par l’impact des activités humaines, soit au total 800 millions disparus en Europe depuis 1984.

Saurons-nous éviter au raffiné Roitelet d’en rejoindre la liste, silenciant à terme la campagne du chant bienfaisant de nos précieux auxiliaires, à l’exemple de l’infortunée alouette des champs ?

Avec l’autorisation de l’Est Eclair / Libération Champagne

Texte © Yves Meurville et photos © Roland Clerc