Au cœur des ténèbres de décembre, veille un aristocratique oiseau de proie, c’est la chouette hulotte, de la famille des Strigidés, « strix aluco » en latin.
De glace, juchée dans la ramure et bravant les frimas, elle est la sentinelle noctambule de nos songes, faisant florès sous la lune.
Qualifiée de « chat-huant », cette attribution aurait un lien avec les Chouans de Vendée et son chef l’hercule Cadoudal (1793 – 1796 ) qui utilisaient son cri à titre de ralliement dans la contrebande du sel, à la Révolution Française.
Cette sommité sédentaire, au vêtement variable, de roux ou gris moucheté, cantonnée en territoire forestier, manifeste, à l’image des troubadours, son chant prosodique courtois, aisément audible dans l’endormissement des nuits.
Ébranlée de ce doux hululement lointain, au sein de l’impressionnant silence, une future compagne répondra en tendres mélopées d’oiselle, aux appels insistants d’un mâle hulotte, souvent attribués à tort au hibou.
Ainsi s’engage la volatile parade nuptiale avec l’espoir d’une existence monogame de dix années minimum sur un même territoire conquis.
Durant l’Antiquité gréco-romaine, la chouette obtint les faveurs de la déesse Athéna selon ses
vertus : connaissance, sagacité, tempérance.
Elle est le symbole des Philosophes et chez Friedrich Hegel, « la chouette de Minerve, déesse de la pensée élevée, qui prend son envol au crépuscule ».
Postée dès la fin du jour, cette redoutable carnassière fond silencieusement sur de petits mammifères, assistée de ses 4 doigts aux puissantes griffes acérées et de plumes tactiles, « les vibrisses », situées aux commissures du bec crochu, qui l’aident à ressentir et saisir son butin.
Un lent et massif déplacement aérien, à l’envergure d’un mètre, anime un poids honorifique de 460g, revêtu d’une livrée duveteuse, pattes et pieds y compris.
C’est un animal très imposant, après le hibou grand-duc de 2,5 kgs ; le plus petit rapace nocturne étant la chouette chevêchette pesant 65 grammes.
Une tête rondelette au visage plat, volumineuse et lisse, dépourvue des aigrettes du hibou, l’associe à un bienveillant animal au regard interrogateur, inaltérable et extrêmement profond.
Son disque facial parabolique canalise les bruits vers des oreilles aux pavillons invisibles, avantageant singulièrement une audition de dix fois supérieure à celle de l’homme.
Une vision binoculaire rigide, compensée d’une rotation crânienne à 270 degrés, permet, corps immobile, l’accès à un vaste panorama de guet.
Elle est la seule des rapaces nocturnes à posséder des yeux fixes noirs, non largement cerclés de jaune.
En journée, la chouette trapue somnole sous le lierre grimpant d’un arbre, anticipant l’offensive de moineaux vindicatifs qui la haïssent, puis accomplit sa scrupuleuse toilette en bains de soleil, de pluie et de poussière, toutes ailes écartées.
La femelle satisfaite de l’ample cavité d’un arbre antique, d’une crevasse, d’un nid abandonné de corvidés y dépose quatre œufs blancs assez arrondis.
Après vingt-neuf jours de couvaison, elle perdure dans la place assainie collectivement des salissures et pelotes de réjection familiales.
Honorablement sustentée du zèle d’un courtaud partenaire, elle déchiquette les vivres livrés, offrant parcimonieusement le tout à sa descendance.
En période de disette, les poussins trop chétifs sont sacrifiés et utilisés par les géniteurs à sauvegarder l’espèce.
L’examen des régurgitations ( poils, os, plumes ) émanant de captures sauvages, nous enseigne sur l’aubaine de cette salutaire présence territoriale.
Le surgissement d’une implacable agressivité est susceptible de mutiler sérieusement tout individu s’approchant en catimini de sa portée. A ses dépens, le photographe Eric Hosking a ainsi perdu un œil.
Avant de s’émanciper emplumés, les hulloteaux hirsutes, échappés de l’abri maternel, resteront alentour quelques semaines supplémentaires, à charge alimentaire et sous surveillance de parents solidairement aguerris.
Considérées « oiseaux de mauvais augure », les chouettes ont été martyrisées, sacrifiées, clouées vivantes sur les portes, et piégées cruellement par les pattes avec des appâts dans des mâchoires de fer où en grande souffrance, elles agonisaient, rejoignant définitivement les Alyscamps, le lieu à Arles des êtres vertueux et sages, au sens grammatical du terme.
Ce temps est révolu, la Reine des nuits bénéficiant depuis 45 ans d’une protection juridique qui interdit de la dénicher, l’élever, la tuer, voire de la naturaliser ; en somme, l’octroi d’un droit existentiel très « chouette » à l’égard de cet oiseau sensible, destiné à éprouver « l’ivresse des jours et des nuits » revendiquée par Charles Baudelaire dans ses petits poèmes en prose.
Rendez – vous le mois prochain dans un nouvel hommage à la Nature et la Beauté.
Site internet : wwwlahulotte.fr, avec la revue naturaliste, scientifique et humoristique nommée LA HULOTTE
Avec l’autorisation de l’Est Eclair / Libération Champagne
Photos : Entête et Mise en avant © Fabrice Croset
Prochaine nuit biennale de la Chouette, organisée avec la LPO : mars 2023