Ce qui est paradoxal et passionnant chez cet insecte appelé « le petit paon de nuit », c’est sa capacité à voler de jour pour le mâle et de nuit pour la femelle.
Fraichement constituée, la femelle aveuglée de ce papillon à l’envergure de 7 cm environ, aveuglée par la lumière, était là, tremblante d’effroi, toute chiffonnée, extraite de son habitacle soyeux et chrysalidaire doré, unique rescapée de la lame des outils mécaniques d’une bordure de tertre aux grandes herbes sèches.
Touché par la grâce de cette présence éclose d’un cocon le lendemain de la Sainte Chantal, je revoyais ces campagnes Champenoise du milieu du 20ème siècle, bruyantes de présences où les insectes dont les papillons résidaient à demeure dans des habitats inviolés et protégés naturellement.
Oui, des souvenirs affluaient soudainement, des souvenirs en mémoire d’étonnantes personnalités de Villehardouin, village aubois historique aux activités variées et intemporelles qui offraient à l’enfant que j’étais, un spectacle ineffable, unique et formateur.
Villehardouin
Village historique et famille française d’origine champenoise dont une branche s’illustra en Orient au 13ème siècle avec le maréchal de Champagne Geoffroy de Villehardouin, historien et chroniqueur français qui participa à la 4ème croisade pour reconquérir les lieux saints et s’illustra dans la prise de Constantinople (Istanbul) ville de Turquie.
Occupants d’un territoire ancestral, ces habitants jalonnaient mes pas sur le chemin de l’école dans le labyrinthe de saisons peuplées alors d’insectes, d’oiseaux mirobolants, de haies luxuriantes, de chemins de terre herbus aux plantes sauvages, de sons, de cris, de petits coins moussus, pour ne plus proposer aujourd’hui qu’un espace uniforme doublé d’un pesant silence anormal sur des routes bitumées et des maisons fermées.
On est de son enfance, comme on est d’un pays » – Gaston Bachelard
Quittons donc ce temps, et revenons à l’écorce râpeuse d’une branche servant d’aire de repos et de séchage à ce corps là devant moi, tout imprégné des mucosités de la naissance.
De considérables efforts distribuaient l’hémolymphe, analogue au sang, dans des viscères endolories, sans oublier les extrémités d’étonnantes voiles fragiles garantissant demain la prise de hauteur nocturne et la liberté, après les métamorphoses d’une alchimie de confinement de neuf mois.
Mais il fallait réserver des forces pour parfumer l’air de phéromones, ces importants messages sexuels adressés aux seuls prétendants ailés mâles de l’espèce, plus petits que les femelles, de ce lépidoptère nommé « le petit paon de nuit » ( Eudia pavonia . Carl Von Linné- 1758 ).
Ceux-ci se presseraient totalement groggy, guidés par la sollicitation odoriférante des effluves captés sur un rayon de 4 kms au moyen de leurs robustes antennes bipectinées, en forme de peigne.
Ornées de quatre lunules concentriques rappelant celles des plumes du paon, d’où le nom du papillon, des formes inventées par la Nature pour effrayer les oiseaux, dignes des peintures de cette humble femme de ménage Séraphine de Senlis, les ailes de ces galants mâles énamourés n’arrêteraient pas de battre dans cette course folle à la sélection naturelle.
Séraphine de Senlis, peignait la nuit, cachée dans sa chambre, après ses heures de ménage, toutes sortes de formes, des lunules, des yeux, des feuilles, des ailes d’insectes mirobolants . Ses tableaux impressionnants et hallucinants sont exposés dans différents Musées ( Paris, Senlis, en Allemagne ) © Yves Meurville
Pour une seule femelle vierge, une centaine de mâles pourront se précipiter de l’horizon.
Aucune route ne leur sera signalée visuellement, ils se guideront avec leurs récepteurs empanachés, siège de l’odorat, sur le chemin de la source hormonale diffusée par ces « dulcinées alacritées », hormone spécifique à l’espèce, un appel silencieux et inodore pour nous qui pourrions apercevoir ces mâles pétillants en fin de journées ensoleillées au printemps.
Leurs couleurs vives et fleuries, relevées de jaune orangé seront le reflet d’une élégance de bon aloi en un temps éphémère d’ivresse et de ferveur, restreint seulement à quelques jours à vivre, sans se nourrir du nectar des fleurs, comme tout papillon.
Incomparables jeûneurs, aux trompes atrophiées donc non fonctionnelles, ce qui est rare chez les papillons, ces pèlerins magnificents répondront avec virtuosité à l’invitation du large, s’accoupleront sur un support et non en vol, pour perpétuer la vie avec brio en quelques jours avant leur soudaine disparition.
Pour ces amoureux ailés, l’air printanier sera ce nécessaire viatique allié.
Quelle constance ils auront à vivre cette formidable et courte odyssée programmée par la Nature !!
Pour les avoir approchés de prêt, je murmurerai : « C’est bien, le monde s’accorde
encore ! » .
Rendez-vous le mois prochain pour la suite de ce récit
Avec l’autorisation de l’Est Eclair / Libération Champagne
Photo d’entête © Yves Meurville