Logé entre le pouce et l’index de mains enfantines, c’est là un bien étrange fleuron à voir, une corolle mauve à deux lèvres, qui ouvre et referme la bouche, au moyen d’une légère pression sur ses flancs, au même titre que s’y emploie le jardinier avec la réplique grandeur nature d’une familière « gueule de loup ».
Cet insolite ornement , nommé officiellement « cymbalaria muralis », la cymbalaire des murs, dans la nouvelle famille des plantaginacées, échoit de divers qualificatifs suivant les régions : tignasse de mur, perruque d’Henri IV, lierre des murailles, linaire à feuilles de lierre.
Sa modicité n’entrave aucunement l’humble offrande de son apanage, aux regards des matinaux piétons explorant les rues du vieux Troyes, à la recherche d’une sauvageonne alacrité, trésor fatal d’un futur herbier.
Son nom populaire « Ruine-de-Rome »est d’origine Méditerranéenne, par l’intermédiaire d’ancêtres Italiens émigrés au XIVème s, et justifié par une préférence aux vestiges.
Ses graines aux crêtes sinueuses auraient rejoint accidentellement Londres vers 1640 avec le truchement de marbres.
La plante glabre, s’y acclimatant, a recueilli le surnom d’herbe d’Oxford (Oxford-weed), devenant rapidement le phénomène de mode, la star des jardins, des murs anciens, généralisant sa culture dans les lieux raffinés.
L’origine du nom « cymbale » instrument de musique des percussions, disque de métal, comparable à la forme de ses feuilles à 5 lobes, légèrement déprimées au milieu, suggérant plaisamment le nombril de Vénus, une plante succulente et vivace.
Planche botanique
Cette débonnaire hémicryptophyte (qui vit à demi-cachée), rampante et retombante, croissant rapidement, possède une architecture florale identique à la linaire vulgaire (en photo ci-contre).
Elle fleurit longtemps à profusion, s’accroche ardemment, à la ville comme à la campagne, aux pieds de monuments, éboulis, remparts, soubassements de maisons à matériaux calcaire, riche en calcium.
Son élégance de bon aloi la pare d’une robe lilas, harmonieusement assortie d’un corsage doré.
Une récente découverte scientifique démontre que ses organes, comparables à des paraboles auditives, captent les vrombissements d’insectes alentours et régulent, suivant l’intensité du bruit, la production de son attractif nectar.
Le long pédoncule est alors visité généreusement et les hyménoptères nourris de sa liqueur, en sortent recouverts du bienfaiteur pollen, nécessaire à la reproduction de l’espèce.
La fleur transformée en fruit globuleux, ovale, contenant la descendance, allonge l’un de ses bras recourbés, à la recherche d’une anfractuosité, pour y enfoncer la capsule de sa semence qui germera alentour, à l’ombre, d’où son adjectif déterminatif de fissuricole.
Cultivée dans un eldorado, c’est une charmante présence, discrète et décorative, pleine de promesses, peu exigeante en soins, sollicitant néanmoins l’attention soutenue de l’hôte.
Avec son allié, le temps, elle façonne de vastes tapis, ouvragés d’ornements à palais jaune.
Sa fascinante adaptation aux milieux détériorés, la classe pionnière de la diversité du vivant, la « biodiversité », agrémentant à son échelle un environnement bouleversé par l’homme.
Quelle énergie et quelle somme d’inventions déployées par ce végétal, entretenant ce qu’il y a de plus précieux au monde : la vie à tout prix !
Avec l’autorisation de l’Est Eclair / Libération Champagne
Photos et texte © Yves Meurville