Tout ce qu’on ne vous dit jamais sur la pie

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Je m’exprime en exprimant le monde ;
j’explore ma propre sacralité en déchiffrant celle du monde » Paul Ricoeur

Qui s’avance là-bas, d’une démarche chaloupée, sur son tapis vert ?

C’est la pie bavarde ( pica pica, en latin ) ou agace, à la forte personnalité, au bec puissant, à l’œil dur, costumée de pantalons noirs bouffants.

Conçue d’une main surnaturelle, la seyante robe pie de Haute Couture, sertie de matière aux reflets métalliques bleutés, rutile au cœur de l’hiver champenois, sous le réconfort enthousiaste de commensaux excités.

S’il existe un être sédentaire autarcique ayant les qualités de ses défauts, c’est bien ce passereau, si déambulant à l’entour, qu’il recouvre de multiples traits hétérogènes.

L’homme, vite circonspect, tranchera à sa vue, le gratifiant d’importun pléthorique et de désinvolte, sans circonstance atténuante à ses menus entorses, à ses sempiternelles palabres de regroupements conciliaires des sexes, bien éloignés des madrigaux.

Cet imposant animal pie de 250 grammes, à l’existence de 12 ans, orchestre son vol d’acrobaties et d’esquives en cas d’attaques célestes, n’hésitant pas un virage de guingois à la moindre contrariété.

Épiant éperdument le pays de son perchoir de pie, une innée prudence alliée à une vue perçante agréent à la pie pour discriminer le profil d’un promeneur et d’un chasseur errant.

Son éclectique régime se compose de 60 % d’animal et de 40 % de végétal pâturés à l’envi, sans complexe, d’une démarche gratifiée de bonds nerveux et de jacassements.

Sa réputation de voleuse absconse et de kleptomane émérite provient d’un atavisme à chasser des insectes-coléoptères aux couleurs vives, les confondant parfois avec tout objet éclatant de mille feux.

Se liant aisément à tout potentiel adoptant, son étonnante mémoire avantage, avec célérité, l’apprentissage de mots familiers et de sons ambiants.

L’invitant à se confronter au test du psychologue Gordon G. Gallup, des Scientifiques ont prouvé que l’astucieuse agace avait conscience d’elle-même dans un miroir.

Son ADN analysé, sacre définitivement un être intelligent, doué d’étonnantes facultés, unanimement reconnu le plus habile et ingénu d’Europe.

Une vie de couple retirée, pudique, préserve des paparazzis ses préliminaires d’alliance, d’accouplement et d’activités familiales.

Dès janvier, le ménage de ces architectes-bâtisseurs ébauche avec constance en 90 jours des nids qui sont de vrais châteaux forts aériens à l’épreuve du temps et des intempéries.

Il isole les édifices de boue et de brindilles, les coiffe d’un dôme ouvert, mais rusé, pour tromper ses prédateurs, n’en achève qu’un, pur chef d’œuvre choisi par la femelle et camouflé à la cime d’un arbre, où sont déposés délicatement cinq œufs bleu vert tachetés, de 3,4 cm, couvés 20 jours.

Tout comme ses cousins, corneilles noires, corbeaux freux, geais des chênes, choucas des tours, la pie a dû affronter au cours des siècles, les exterminations aux hétéroclites moyens les plus sophistiqués : lance-pierres, fusil, arbalète, narcotique, dénichage avec prime.

Depuis 1989, elle a résisté à sa destruction massive de 64 % et a su transcender ses plaies par l’Art :

• l’opéra avec « La pie voleuse » de Gioachino Rossini,
• la bande dessinée Tintin, d’Hergé (Georges Remi) au titre «Les bijoux de la Castafiore»
• la peinture de Claude Monet intitulée «La pie»
• une marque de friandises «La pie qui chante»

Après le décret de 2017 du Conseil d’État annulant l’arrêté ministériel de 2015, la pie n’est plus une «espèce nuisible» dans certains départements, l’Aube y compris. Elle retrouve ainsi davantage de sérénité pour s’imposer corps et âme avec débrouillardise, continuant à jouer son rôle d’essentiel maillon dans la chaîne du vivant.

En l’année 2022, à son exemple, apaisons notre soif de curiosités et de sagacité, avec toujours à l’esprit, une attention circonspecte au miroitement de toute chose.

Rendez-vous en février avec une nouvelle part de nature et du merveilleux, reposant dans la moindre chose.

Sur Netflix, le film distribué en 2020 « Penguin Bloom » retrace la belle aventure d’ adoption d’une pie blessée.

Il s’inspire d’une histoire vraie et suit une femme dont le monde est bouleversé après un accident l’ayant rendue incapable de marcher.

Avec l’autorisation de l’Est Eclair / Libération Champagne

Photos : Entête et Mise en avant © Fabrice Croset